C’est elle qui émit l’idée la première. L’idée de vivre ensemble. Lui se contenta d’acquiescer d’un sourire en la prenant dans ses bras. Fini les escapades et les rendez-vous volés, elle se sentait prête. Prête pour vivre avec lui. Ils n’avaient pas eu besoin d’en discuter. L’évidence s’imposait : alors à quoi bon perdre du temps pour exprimer des craintes légitimes ? Il fallait juste franchir le pas. Trop d’obstacles seraient évoqués, comme autant de prétextes à continuer leur idylle d’éternels amants. Ils avaient suffisamment goûté au plaisir des rendez-vous secrets et des suites d’hôtels. La maturité de leur histoire arrivait à son terme : le désir de partager le quotidien devenait impérieux. Ils les avaient souvent moqués, ces vieux couples qu’ils croisaient dans les rues, bras dessus, bras dessous. Ils n’y échapperaient pas. Et c’était bien ainsi. Love for ever.
À plus de 55 ans, Claire n’avait plus peur de cette vision et elle arrivait à s’imaginer avec son Philippe de 10 ans son aîné. C’est elle qui, pragmatique, avait pris les choses en main : elle avait souhaité confier cette mission – qu’elle savait chronophage et ingrate – à un professionnel. C’est ainsi qu’une première rencontre eut lieu début mai, dans les locaux du chasseur immobilier qu’un de ses clients lui avait incidemment recommandé au cours d’une conversation. Philippe serait partie prenante : elle lui avait fait promettre de se rendre disponible et ponctuel – ce qui au départ n’était pas gagné ! Journaliste dans une chaîne info, il était souvent envoyé sur le terrain en dernière minute. Bon présage ! Ils arrivèrent en même temps dans le hall de Perle Rare, agence de chasse d’appartements à Paris au 12 de la rue Castiglione. L’ascenseur jusqu’au 6e étage fut l’occasion d’un baiser volé.
Deux ans que leur idylle les aimantait à chacune de leurs retrouvailles. Mais ce jour-là, leur histoire prenait un tournant décisif et ils étaient impatients de décrire leur appartement idéal. Le rendez-vous dura près de deux heures. Si Claire avait des idées très arrêtées, lui se laissait littéralement porter. Sa seule exigence : qu’il y ait suffisamment de murs pour les couvrir de bibliothèques avec ses 3 000 livres dont une collection de revues du XIXe. Bibliophile, il avait hérité de son oncle des volumes d’éditions rares dont il lui était impensable de se défaire. Pour le reste, il lui laissait carte blanche.
Les visites commencèrent très vite mais ils ne parvenaient à se décider. Ni l’un ni l’autre ne craquaient. Était-ce la peur ? Trois mois s’écoulèrent jusqu’à ce qu’ils aient véritablement tous les deux le coup de cœur pour un duplex, totalement réaménagé dans une ancienne imprimerie. « Oui, c’est celui-ci qu’il nous faut », s’écria Claire sans un voile d’hésitation dans sa voix. Elle jubilait, Philippe était aux anges ; il avait déjà pris les mesures pour sa bibliothèque. Si le chasseur d’appartements partageait le bonheur du couple, il était également soulagé que cette mission s’approchât enfin d’un happy end. Il ne restait plus qu’à signer chez le notaire avant de proclamer : ils emménagèrent et furent comblés de bonheur. Mais les plus belles histoires d’amour sont sujettes à des coups de théâtre. Comment imaginer que la signature dut être repoussée et faillit même être annulée ? Preuve que rien n’est jamais acquis. Dans la précipitation, le couple de tourtereaux avait juste omis un tout petit détail impardonnable aux yeux de la loi : ils étaient respectivement mariés l’un et l’autre ! C’est seulement après un peu de ménage et quelques aveux qu’ils pourraient acheter un bien en commun et célébrer leur nouvel home sweet home. Ce rebondissement résolu, l’affaire fut conclue. Si l’amour rend aveugles, il donne assurément des ailes. Oui, la réalité dépasse toujours la fiction. Générique !
Par Florence Batisse-Pichet – Illustration Marilou Laure