Sous le signe du capricorne

En cette fin juillet, Paris a des allures de vacances. Émilie est sur un petit nuage. Pas de grand voyage en vue. Et pour cause, elle a un projet bien plus important qui la mobilise depuis des mois. Elle signe demain une promesse de vente chez son notaire. Grâce à son chasseur d’appartements, elle a déniché la perle rare, le cocon de ses rêves. Cette acquisition va enfin la rendre propriétaire, l’année de ses quarante ans. Ils ont vraiment été efficaces, pense-t-elle, en se dirigeant à la terrasse du bar, voisine de son bureau. Il leur aura fallu moins de quatre semaines pour trouver le deux-pièces qui correspondait à ses critères : quartier, surface, dernier étage, vue dégagée sur cour arborée. Ils ont fait fort. Car vu le rythme de son job, comment aurait-elle pu trouver le temps de faire des repérages toute seule ? Au final, son chasseur immobilier lui aura proposé deux biens. En deux rendez-vous et deux visites, elle a eu un coup de cœur sur le premier pour sa hauteur sous plafond et les sublimes moulures. Hormis la peinture, il est en très bon état : le seul petit chantier à prévoir est un aménagement de la cuisine. C’est justement pour cela qu’elle a, ce jour-là, rendez-vous avec une de ses amies, architecte. Alors qu’elle s’installe et vient de commander un thé glacé, son téléphone vibre : un appel de son chasseur. Elle se fige car elle n’en croit pas ses oreilles. Pour que son amie comprenne sa soudaine panique, elle met la conversation sur haut-parleur :
– Mademoiselle Cordier, nous avons un souci. D’après l’expert du vendeur et ses dernières investigations, l’appartement est occupé.
– Comment cela, occupé ?
– L’expert a vu des traces.
– Des squatters ?
– Oui, en quelque sorte.
– Expliquez-vous !
– L’invasion pourrait être sérieuse.
– De quoi parlez-vous ?
– Une alerte aux capricornes ! »
Le mot est lâché. Elle comprend qu’il ne faut pas prendre cette annonce à la légère mais agir. Et vite. Son futur nid douillet ne doit pas devenir le décor d’un film d’horreur. Pour Émilie, commence alors le début d’une course panique contre la montre… Il ne reste plus que quelques jours pour trouver un expert en charpente, et le cas échéant se rétracter. La perspective de casser la vente lui semble insupportable. Comment quelques bestioles parasites pourraient-elles anéantir son rêve ? Pourtant si une invasion de capricornes est confirmée, elle prend le risque de vrais désagréments. Car le bâtiment est ancien, et si la colonie a infesté le plancher, elle a pu tout aussi bien occuper la charpente. Comment savoir ? Heureusement, cette aventure immobilière, elle la partage en toute confiance avec son chasseur d’appartements. S’excusant auprès de son amie architecte, Émilie rappelle celui-ci sur le champ. « Mission difficile en plein été mais pas impossible : il nous faut programmer une visite au plus vite. », lui répond-elle avec sang-froid. In extremis, un expert accepte de se déplacer dès le lendemain. Le rendez-vous a lieu dans l’après-midi. On aurait pu s’attendre à une scène digne d’une série policière, avec un professionnel traquant les traces des nuisibles. Il n’en fut rien ou presque. Car quand ce dernier arrive et découvre le plancher en chêne : son avis est sans appel. « On peut certes identifier très nettement de nombreux petits trous ici et là. Mais je peux vous garantir que ce sont d’anciennes traces qui ont été traitées. Et surtout sachez que les capricornes aiment le bois tendre. Ils ne creusent jamais dans le chêne. » La fausse alerte est ainsi levée. Depuis, pour son plus grand bonheur, Émilie a emménagé et tout cela n’est qu’un lointain souvenir. L’évocation de cette histoire de bébêtes xylophages l’a fait même sourire. Preuve qu’un acheteur averti en vaut deux.

Par Florence Batisse-Pichet – Illustration Marilou Laure

Sous le signe du capricorne